Le James Webb Space Telescope expliqué par ceux qui l’ont fait

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Cette fois, ça y est ! Le télescope James Webb Space Telescope, ou « Webb », est à Kourou et va être lancé par une fusée Ariane le 22 décembre. Oui, c’est avec un retard de plus de 10 ans par rapport aux premières estimations ! Oui, son coût a été multiplié par 10 ! Mais la moisson scientifique s’annonce exceptionnelle.

Le Webb va permettre de sonder des zones du cosmos vierges d’observations, grâce à son miroir de 6,5 mètres de diamètre, le plus grand jamais déployé dans l’espace, et ses quatre instruments observant dans l’infrarouge : NIRCam, NIRISS, NIRSpec et MIRI (les consonances en « IR » viennent de l’« infrarouge »).

Webb, mission phare de la NASA et des agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (CSA), va prendre le relais du télescope spatial Hubble pour observer plus loin dans l’Univers. Vitesse de la lumière oblige, il regardera ainsi plus tôt dans l’histoire, jusqu’aux moments où les premières galaxies et les premières étoiles se sont formées. Mais il va aussi relayer le télescope spatial infrarouge Spitzer pour aller sonder les atmosphères d’exoplanètes, les étoiles et les systèmes planétaires en formation, l’évolution des galaxies…

Fomalhaut est l’étoile la plus brillante de la constellation du Poisson austral. Elle est entourée d’un disque de débris et de poussières. À gauche, limage obtenue par le télescope spatial Spitzer, à droite, une simulation d’une observation typiaue attendue avec le Webb.
Andras Gaspar, Fourni par l’auteur

En somme, tous les domaines de l’astrophysique vont en bénéficier.

Nous faisons partie des plus de 1 200 scientifiques de 14 pays à avoir contribué au développement du JWST. En France, nous avons surtout participé au développement de l’instrument MIRI, le seul des quatre instruments qui opère dans le domaine de l’infrarouge dit « thermique ». Observant dans les longueurs d’onde entre 5 et 28 micromètres, il sera le plus à même à observer le gaz et les poussières dans des objets beaucoup plus froids que des étoiles comme notre Soleil. Il permettra par exemple de voir des étoiles jeunes encore profondément enfouies dans le nuage de gaz et de poussières dans lequel elles se forment. MIRI sera également le complément indispensable à NIRCam pour identifier les premières galaxies de l’Univers.

L’épopée du télescope Webb

Initialement, il était loin d’être acquis qu’un instrument pour l’infrarouge thermique fasse partie de la suite instrumentale du JWST (appelé « next generation space telescope » à l’époque). Il a fallu convaincre la NASA et l’ESA de l’importance scientifique et de la faisabilité d’un tel instrument. L’un d’entre nous (Pierre-Olivier Lagage) faisait partie du petit groupe d’astrophysiciens qui ont milité en Europe et aux US pour un tel instrument.

C’était… à la fin des années 90. Le lancement du Webb Telescope était alors prévu pour 2007. Mais le lancement de Webb a été repoussé de nombreuses fois et l’épopée de l’instrument MIRI illustre en fait bien les raisons de ces retards successifs.

Le Webb sera en orbite à 1,5 million de kilomètres de la Terre, soit 4 fois la distance Terre-Lune. Il ne sera pas possible d’aller le réparer en cas de problème, comme cela a été fait pour Hubble, qui orbite à « seulement » 570 kilomètres de la Terre : lors de la mise en fonctionnement de Hubble, la qualité des images s’est avérée très décevante, mais l’installation par des astronautes d’un correcteur optique a permis de rétablir la qualité image escomptée.

Amélioration de la qualité optique du téléscope spatial Hubble grâce à l’installation d’optiques correctives en 1993… alors que Hubble était déjà dans l’espace. Avant correction à gauche, après correction à droite.
NASA

Pour Webb, nous n’avons pas le droit à l’erreur – d’où l’importance du travail de conception et de tests avant le lancement !

MIRI, un instrument de pointe pour les exoplanètes

MIRI est constitué de deux parties principales : un « imageur », qui permet de faire des photos (c’est la partie appelée « MIRIM », et un spectromètre, qui permet d’étudier la lumière reçue en fonction de la longueur d’onde – et donc, par exemple, de déterminer quels éléments chimiques sont présents dans l’objet que l’on observe (c’est le « MRS »). Les performances de ces instruments placés au foyer du plus grand télescope spatial en opération seront sans précédent.

La supernova 1978A vue par le télescope spatial Spitzer à gauche, et une simulation de ce que l’on attend avec MIRI à droite. L’image illustre l’amélioration de la qualité d’observation, notamment en termes de résolution angulaire.
Patrice Bouchet, Fourni par l’auteur

Dans un sens, pour l’étude des exoplanètes, les retards du lancement de Webb sont une bonne nouvelle. En effet, ce domaine a explosé ces dernières décennies et nous disposons actuellement d’une richesse d’exoplanètes à observer, dont des planètes rocheuses, qui n’étaient pas connues en 2007.

On étudie désormais beaucoup les exoplanètes par la méthode dite « des transits » : on scrute les infimes variations de la luminosité d’une étoile distante dues au passage d’une exoplanète qui l’entourerait. MIRI a donc été « amélioré » pour utiliser cette méthode des transits. Il s’agit de lire seulement une petite partie du détecteur, afin de le faire très rapidement sans saturer le détecteur. Au fond, on « détourne » un peu le but premier du Webb, conçu pour observer des objets peu lumineux ou très lointains, pour profiter de sa grande sensibilité.

Tests de mode coronographique de MIRI faits à Saclay : on voit sur l’image de droite que lorsque l’on positionne la source juste au centre du coronagraphe à quatre quadrants, on « éteint » la source, bien visible sur la gauche.
Pierre-Olivier Lagage, Fourni par l’auteur

MIRI dispose aussi de « coronographes ». Utilisés historiquement pour observer la couronne du Soleil en cachant le disque trop brillant qui empêche de voir les détails alentour, les coronographes ont été adaptés pour observer les étoiles, et ainsi distinguer d’éventuelles exoplanètes qui se trouveraient à proximité. MIRI emporte un coronographe classique (dit « de Lyot ») et trois coronographes « à masque de phase », très performants, et qui vont être pour la première fois envoyés dans l’espace.

Du berceau au décollage

Après plusieurs années d’études préliminaires, c’est en 2004 que la contribution française à MIRI a été approuvée par le CNES, le CEA et le CNRS.

Le modèle de vol de l’imageur MIRIM a été assemblé et testé au CEA Paris-Saclay en 2008 et 2009 ; un banc de test qui permet de reproduire les conditions de vide et de froids que rencontrera MIRIM une fois dans l’espace a été développé spécialement pour l’occasion. En 2010, MIRIM a été envoyé au Rutherford Appleton Laboratory en Angleterre pour être couplé avec l’autre partie de MIRI, le spectromètre MRS, puis testé dans une chambre à vide suffisamment grande pour l’instrument complet.

L’instrument MIRI après assemblage de MIRI et MRS.
Rutherford Appleton Laboratory

En 2012, MIRI a été envoyé au Goddard Space Center de la NASA, près de Washington, où il a été couplé avec les trois autres instruments du JWST. Trois séries de tests cryogéniques ont suivi entre 2012 et 2016.

Les 18 hexagones du miroir primaire du télescope ont aussi été assemblés au Goddard Space Center de novembre 2015 à février 2016. Les instruments ont été montés à l’arrière du miroir primaire du télescope et l’ensemble a été envoyé en 2017 à Houston pour être testé, car la station de test au Goddard Space Center n’était pas assez grande pour accueillir le télescope. L’équipe CEA était sur place pour les tests au moment où l’ouragan Harvey s’est abattu. Plus de peur que de mal ; juste quelques nuits au laboratoire sans pouvoir regagner l’hôtel et une voiture complètement noyée !

Assemblage du télescope (miroirs dorés et instruments, dont MIRI) et du bouclier thermique (qui ressemble à du papier d’aluminium ou plastique et est déployé à 0 :28 dans la vidéo). Source : NASA Goddard.

Une fois les tests finis, nous avons « laché » MIRI pour son voyage dans les locaux de la compagnie Northrop Grumman, en Californie, où il est arrivé début 2018. Là, le télescope a été couplé avec le satellite et les grands écrans thermiques qui vont empêcher les rayons du Soleil, de la Terre et de la Lune d’atteindre le télescope. Celui-ci pourra alors atteindre passivement une température d’environ 45K (-228 ℃), nécessaire pour ne pas gêner les observations dans l’infrarouge.

Enfin, fin septembre 2021, Webb a quitté la Californie pour Kourou où il est arrivé après un voyage en bateau de 16 jours qui l’a amené à passer par le canal de Panama (bloqué quelques mois plus tôt !).

Le navire MN Colibri est arrivé au Port de Pariacabo, sur la rivière Kourou, en Guyane française, le 12 octobre 2021. Dans un container spécialement conçu se trouve le James Webb Space Telescope.
Chris Gunn/NASA

Paré au décollage… et à débuter les tests et observations scientifiques

L’aventure spatiale va alors commencer le 22 décembre 2021, avec la série de tests sur le ciel qui vont durer 6 mois. Puis, fin juin 2022, c’est l’exploration scientifique qui va pouvoir commencer, après trois décennies de développements.

Une petite partie du temps d’observation est réservée aux astrophysiciens ayant participé au développement instrumental. Dans ce cadre, nous coordonnons les observations qui seront consacrées aux exoplanètes, à la Supernova 1987a, et à deux régions photodominées.

L’essentiel du temps d’observation sera « ouvert » : chaque année durant les 5 à 10 années de durée de vie de Webb, plusieurs appels pour l’utilisation du Webb sont programmés. Le premier appel a eu lieu en 2020. Plus de 1000 demandes ont été déposées, impliquant plus de 4000 astrophysiciens à travers le monde. Le nombre d’heures d’observation demandées est très supérieur (4 à 5 fois) au nombre d’heures disponibles et la sélection a été faite par des comités de scientifiques. Il est satisfaisant de voir que MIRI est le deuxième instrument le plus demandé. Nous avons bien fait d’insister pour qu’il « monte » à bord du Webb !


MIRI est un instrument co-développé par un consortium de laboratoires spatiaux européens, qui se sont occupé des aspects opto-mécanique, de l’assemblage et des tests d’ensemble de l’instrument, et le centre JPL de la NASA, qui a fourni les matrices de détecteurs et le système de refroidissement de MIRI.

Pierre-Olivier Lagage, Chercheur CEA au Laboratoire Astrophysique, instrumentation, modélisation du CEA, CNRS, Université de Paris; Alain Abergel, Professeur Université Paris-Saclay, Astrophysicien à l’IAS, Université Paris-Saclay; Anthony Boccaletti, Directeur de Recherche CNRS au LESIA, Observatoire de Paris-PSL, CNRS, Université de Paris; Christophe Cossou, Ingénieur CEA, développeur pour l’instrument JWST/MIRI au Laboratoire Astrophysique, instrumentation, modélisation du CEA/CNRS, Université de Paris; Dan Dicken, Project Scientist , Université Paris-Saclay et Patrice Bouchet, Chef de Projet du Centre d’Expertise MIRI/JWST, Département d’Astrophysique, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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